Par une ordonnance en date du 20 mars 2024, le Président du Tribunal Judiciaire de Rouen a ordonné une expertise en soumettant la communication du dossier médical du patient à son accord ou à celui de ses représentants légaux ou encore des ayants droits.
L’assureur du praticien mis en cause a interjeté appel de cette ordonnance, estimant qu’elle était constitutive d’une violation des droits de la défense, au visa de l’article 6§1 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales.
Par un arrêt du 13 novembre 2024, la 1ère chambre civile de la Cour d’appel de Rouen a validé le raisonnement développé par le conseil des victimes.
Il était notamment soutenu par l’assureur du praticien que le fait d’interdire à une partie de faire la preuve d’éléments de faits essentiels pour l’exercice de ses droits et le succès de ses prétentions constitue une atteinte au principe d’égalité des armes résultant du droit au procès équitable garanti par l’article 6§1 de la Convention susvisée et qu’en conséquence, le consentement préalable à la production de pièces médicales concernant les faits en cause, porte atteinte aux Droits de la défense.
A l’inverse, il était soutenu par le cabinet JVL, sous la plume de son associée Marie LEROUX, que si le secret médical trouve certaines dérogations, il doit bénéficier d’une protection majeure afin de maintenir un rapport de confiance entre les médecins et les patients.
Il est ainsi jugé :
« Selon l’article L 1110-04, I du code de la santé publique, toute personne prise en charge par un professionnel de santé, un établissement ou service, un professionnel ou organisme concourant à la prévention ou aux soins dont les conditions d’exercice ou les activités sont régies par le présent code, a droit au respect de sa vie privée et du secret des informations la concernant.
Excepté dans les cas de dérogation expressément prévus par la loi, ce secret couvre l’ensemble des informations concernant la personne, venue à la connaissance du professionnel, de tout membre du personnel de ces établissements, services ou organismes, et de tout autre personne en relation, de par ses activités, avec ces établissements ou organismes. Il s’impose à tous les professionnels intervenant dans le système de santé.
L’article R.4127-4 du même code énonce que le secret professionnel institué dans l’intérêt des patients s’impose à tout médecin dans les conditions établies par la loi. Le secret couvre tout ce qui est venu à la connaissance du médecin dans l’exercice de sa profession, c’est-à-dire non seulement ce qui lui a été confié, mais aussi ce qu’il a vu, entendu ou compris.
Le juge civil ne peut, en l’absence de disposition législative spécifique l’y autorisant, ordonner une expertise judiciaire en impartissant à l’expert une mission qui porte atteinte au secret médical, sans subordonner l’exécution de cette mission à l’autorisation préalable du patient concerné, sauf à tirer toutes les conséquences du refus illégitime.
En l’espèce, le premier juge a subordonné la communication par « les demandeurs ou par tout détenteur » des pièces médicales nécessaires à l’expertise, et surtout, du complet dossier médical de XXXXXXX, à l’accord de ce dernier, ou celui de ses représentants légaux, ou de ses ayants-droit.
La garantie de l’accord préalable du patient ou de ses représentants légaux ou ayants droit prévue par le juge des référés dans la mission confiée à l’expert judiciaire pour la communication du dossier médical de celle-ci est conforme aux textes et principes applicables.
D’une part le secret médical fait valablement obstacle à une libre utilisation des pièces du dossier médical par le praticien mis en cause par son patient.
D’autre part, le conflit entre ce secret et le droit professionnel de santé de se défendre dans le cadre d’une action en responsabilité médicale engagée à son encontre est arbitré par la légitimité des motifs opposés par le patient à une telle communication.
Un refus de sa part n’a vocation à être sanctionné qu’a postériori, dans l’hypothèse où le professionnel de santé justifie qu’il ne repose pas sur un motif légitime et porte une atteinte disproportionnée aux droits de la défense.
En conséquence, les termes critiqués de la mission d’expertise ne s’analysent pas comme une violation des droits de la défense. Le juge des référés a exclusivement rappelé le principe du secret médical et son corollaire d’une autorisation préalable par le patient à la révélation d’éléments qu’il couvre, sans avoir pour autant interdit par anticipation et de façon absolue la communication de pièces utiles aux intérêts des praticiens en cause, ni exclu que le conflit entre ce secret et les droits de la défense puisse être tranché. L’ordonnance critiquée sera confirmée sur ce point de la mission d’expertise »
Cette décision est fondamentale en ce qu’elle rappelle l’importance du secret médical qui est le corollaire indispensable à la confiance qui doit régner entre le patient et le professionnel de santé.
Il est hélas trop fréquent, alors que les victimes demandent copie de l’entier dossier médical, qu’il soit découvert au jour de l’expertise, la communication de pièces ne figurant pas au dossier transmis.
Cela permet ainsi d’éviter une telle méthodologie et plus encore de s’assurer que les pièces communiquées ne concernent que le litige en question et non d’autres faits.
Le cabinet JVL ne peut dès lors que se réjouir d’une telle décision.
La défense des droits des victimes en matière de santé doit imposer une rigueur intellectuelle, tant au titre du traitement au fond du dossier qu’au titre du respect des règles procédurales fondamentales.
Marie LEROUX