Décret « Datajust », numérisation normalisation et diminution de l’indemnisation du dommage corporel.

En plein confinement, alors qu’il se disait mobilisé totalement pour lutter contre le Covid 19, le Premier Ministre a signé et publié le décret n ° 2020-356 portant création d’un traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé « Datajust ».

Quatre objectifs sont fixés et assumés :

• réalisation d’évaluation rétrospectives et prospectives des politiques publiques en matière de responsabilité civile ou administrative.
• élaboration d’un référentiel indicatif d’indemnisation des préjudices corporels.
• information des parties et aide à l’évaluation du montant de l’indemnisation à laquelle les victimes peuvent prétendre afin de favoriser un règlement amiable des litiges
• informations et documentations des juges appelés à statuer sur ces demandes d’indemnisation des préjudices corporels.

Autant de franchise dans l’exposé des motifs d’un tel texte est rare. Ce texte pose, de plus, le problème de l’accès aux données alors qu’il permettra de recueillir des données de nature personnelle et médicale sans le consentement de l’intéressé.

Les avocats, corps constitués, magistrats et associations sont déjà en guerre contre ce texte.

En effet il prévoit à terme de mettre à disposition des deux parties d’une négociation relative à l’indemnisation d’un dommage corporel un outils, un barème, pour faire état du traitement des préjudices sollicités par la victime.

Cela pose de multiples problèmes :

Tout d’abord les barèmes existent déjà, sont à disposition de tous et sont utilisés s’ils restent à leur place, d’outil. Le décret prévoit bien au-delà un algorithme, soit un outils qui déterminera, hors de tout contrôle, la valeur d un préjudice. Il sera alors facile pour la compagnie d’assurance de donner force obligatoire à ce résultat. L’objectif est d ailleurs assumé par le texte qui, dans son objectif 3, souhaite voir les différends se régler à l’amiable sur la foi de cet outil. Ainsi le résultat de l’algorithme deviendra obligatoire et l’indemnisation du dommage corporel sera figée de manière définitive. Le rêve absolu de l’assureur !

Ensuite ce mécanisme souhaite déjudiciariser le règlement du dommage corporel et en exclure l’avocat. Il est acquis que la justice française est en souffrance et manque de magistrats. Voila une bonne méthode pour diminuer la masse de travail des magistrats, permettre un règlement automatique des différends dans la phase amiable et à défaut lier le juge par un système mathématique obligatoire.  Cet objectif contrevient au droit positif alors que la Cour de Cassation a rappelé le monopole de l’avocat dans la phase pré contentieuse de la liquidation du dommage corporel. Un algorithme pourrait donc faire ce  qu’une association ne peut légalement faire ! Le droit rappelle l’importance de la présence de l’avocat, professionnel du droit dès le début des échanges avec l’assureur alors qu’il est le seul à pouvoir comprendre appréhender et ainsi présenter et instruire la demande indemnitaire. Un système mathématique, si performant soit il, ne pourra jamais remplacer cet office.

Enfin cet objectif est en totale contradiction avec les règles prétoriennes du règlement du dommage corporel. La Cour de Cassation a rappelé, dans un arrêt récent, que l’indemnisation du dommage corporel est soumise à deux principes fondamentaux. L’individualisation de la réparation et la réparation  intégrale. La Cour de Cassation  a sanctionné une Cour d’Appel pour avoir eu recours à un barème indiquant que le barème, par nature nécessairement forfaitaire et abstrait est ainsi contraire aux principes évoqués.

Ce décret et ses objectifs sont contraires à l’intérêt des victimes et à l’état du droit positif. Il fait l’objet de recours devant le Conseil d Etat.

Il faut toujours rappeler que le droit évolue grâce à l’œuvre des avocats qui soulèvent de nouvelles demandes et des magistrats qui arbitrent en fonction de leur sagacité. Mettre en place un barème obligatoire c est mettre fin à toute évolution du droit, c’est la fixation à un moment donné de notre état juridique et social sans aucune possibilité d’évolution. Les avocats seront toujours debout et combatifs contre cet état de fait.

Le cabinet sera toujours mobilisé pour individualiser chaque demande, appréhender les préjudices dans leur complexité et ainsi en obtenir une juste réparation.

François JEGU,
Avocat Spécialiste du Droit de la Santé

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