Madame Marisol TOURAINE, ancien Ministre de la Santé, a annoncé après l’été 2016 la création d’un fonds d’indemnisation après la révélation du scandale de la DEPAKINE®.
C’est la loi du 29 décembre 2016 N°2016-1917 qui intègre au sein du Code de la Santé Publique les dispositions de ce mécanisme d’indemnisation.
C’est le décret du 5 mai 2017 pris quelques jours avant la fin du ministère de Madame Marisol TOURAINE, qui prévoit les modalités d’application de ce dispositif.
Enfin la communication politique du ministère sur le sujet renvoie à un mécanisme d’indemnisation globale des enfants souffrant du syndrome de valproate quelle que soit la date d’administration du produit selon un mécanisme indemnitaire fondé sur la solidarité nationale.
Alors que le projet est maintenant effectif grâce à la publication du décret évoqué ci-avant, il est opportun de s’interroger sur sa mise en œuvre et son effectivité.
L’architecture générale du mécanisme est assez complexe et repose sur le fonctionnement de deux comités : un premier de nature médicale, un deuxième de nature indemnitaire selon la lettre du texte.
Le choix de confier l’indemnisation à l’ONIAM au titre des missions qui sont confiées à l’office au visa de l’article L1142-22 du Code de la Santé Publique a été écarté.
Cela est regrettable car ce mécanisme est maintenant éprouvé par les victimes et surtout par les juridictions, permet un débat véritablement contradictoire avec un recours effectif au Juge pour trancher toute difficulté.
De la même manière, il n’a pas été retenu un mécanisme de responsabilité sans faute comme celui qui existe au titre des vaccinations obligatoires et prévues aux articles L3111-4 et suivants du Code de la Santé Publique qui lui aussi permet une indemnisation efficace dès lors que les critères légaux et jurisprudentiels sont réunis.
C’est un système proche du mécanisme relatif au MEDIATOR® qui est mis en place, qui oblige les victimes du valproate à saisir un comité médical, adressant un certain nombre de pièces médicales, administratives et juridiques.
L’Avocat n’est pas obligatoire.
Il semble qu’une expertise sera menée par ce comité médical et qu’un avis sera alors rendu.
Cet avis sera transmis au comité d’indemnisation qui se prononcera selon l’article L1142-24-15 nouveau du Code de la Santé Publique sur les circonstances, les causes, la nature et l’étendue des dommages ainsi que sur la responsabilité de l’une ou de plusieurs des personnes mentionnées au premier alinéa de l’article L1142-5 ou de l’Etat au titre de ses pouvoirs de sécurité sanitaire.
Il est assez surprenant de voir qu’un comité d’indemnisation est en charge de la détermination de la responsabilité.
Cela signifie très précisément qu’il n’y a pas d’indemnisation automatique car elle est assise sur une responsabilité qui devra être établie sur des principes juridiques qui sont in fine assez flous.
Ces éléments sont esquissés à l’article L1142-24-16 nouveau du Code de la Santé Publique repris par le décret d’application aux articles R1142-63-36 I et II nouveau du même code.
La loi nouvelle dispose que les personnes considérées comme responsables par le comité d’indemnisation évoqué ci-avant, adressent à la victime ou à ses ayants-droit dans un délai d’un mois une offre d’indemnisation visant à la réparation intégrale des préjudices soufferts.
Lorsque la personne responsable est l’Etat, au titre de son pouvoir de sécurité sanitaire, l’offre est adressée par l’office.
L’article L1142-24-16 II indique que lorsque ce comité d’indemnisation, qui doit donc évoquer la notion de responsabilité nonobstant le vocable qui le détermine, indique que l’imputabilité du dommage est en relation avec un manque d’information de la mère sur les effets indésirables du médicament prescrit au regard des obligations légales et réglementaires s’imposant au produit, sans avoir pu identifier une personne tenue à indemniser, adresse alors à la victime ou à ses ayants-droit dans un délai d’un mois une offre indemnisant le préjudice souffert.
La formulation de ce II est absolument fondamentale.
Comme cela a été rappelé en tête du présent article, le dispositif a été présenté comme une indemnisation effective de toutes les victimes de la DEPAKINE® quelle que soit la difficulté relative à la prescription ou au fondement juridique de la responsabilité.
Or, le principe qui fonde l’indemnisation des victimes dès lors qu’il n’y a aucun principe de responsabilité établi, n’est pas automatique, il ne s’agit pas d’une responsabilité sans faute mais fondée sur un défaut d’information de la mère de l’enfant victime au regard des obligations légales et réglementaires.
Cette formulation pose de multiples difficultés car tout d’abord l’obligation légale d’information avant la loi du 4 mars 2002 est l’émanation de l’article ancien 1147 du Code Civil dans une conception large et jurisprudentielle.
De plus, le défaut d’information doit être fondé sur une réelle connaissance du risque avéré et du lien de causalité avec le produit prescrit.
Or, c’est le cœur de la difficulté juridique qui est opposée aux victimes par les laboratoires et les personnels médicaux.
Enfin le défaut d’information dans sa conception jurisprudentielle tant civile qu’administrative n’offre pas une réparation intégrale mais est corrélé à une perte de chance de pouvoir ne pas se soumettre au fait médical.
Il sera alors très difficile de déterminer ce pourcentage de perte de chance en relation avec un défaut d’information sur un risque qui n’était pas, selon les laboratoires, totalement établi dans les années 80 ou 90…
Cette analyse des dispositions légales et réglementaires permet de comprendre que la précipitation à mettre en place une indemnisation qualifiée d’effective pour les victimes est souvent propice aux imprécisions de rédaction.
Ainsi le système, qui a été présenté par la presse générale et spécialisée comme un fonds d’indemnisation des victimes de la DEPAKINE®, ne l’est in fine pas.
C’est lors de la saisine de ces comités d’indemnisation que les victimes éprouveront, je le crois, des difficultés techniques, médicales, juridiques et in fine indemnitaires.
Il eût sans doute été bien plus efficace de s’interroger sur les réels mécanismes juridiques qui empêchent les victimes du valproate de mener correctement devant les juridictions leurs actions indemnitaires contre les laboratoires, établissements de santé, prescripteurs…
Ainsi la loi du 29 décembre 2016 et aujourd’hui son décret d’application du 5 mai 2017 relève bien plus de l’effet d’annonce que d’un dispositif législatif efficace et pertinent.
François JEGU,
Avocat Spécialiste du Droit de la Santé